Les Chameaux de la haine relatent les premières semaines de la tragédie qui a ensanglanté les deux rives du fleuve Sénégal, en 1989, et en restitue le climat. Centrés sur de brefs portraits de personnages, les récits qui les composent sont à l’image des périodes sombres de la vie des humains, mêlant intimement le tragique au burlesque, l’angoisse à la farce. Ils parlent de la difficulté de communiquer,…

 Deux extraits : 1) Coumba Leeldo n’en finissait pas de remercier Ahmed. Le boutiquier l’avait « dépannée », en acceptant de lui fournir, à crédit, les quelques kilos de riz qui manquaient aux réserves alimentaires de la famille, que des cohortes de pique-assiettes avaient trop tôt épuisées. Sur un dernier regard de gratitude à Ahmed,elle lança à son commerçant préféré, et peut- être aussi au doux vent qui caressait les visages, cette expression que les Peuls adressent aux cœurs généreux: « walaaye kaa aarabé généreux comme un arabe) !». 

2) Mes sauveurs me déposèrent à la hauteur du domicile des parents de N’Dèye Khady, une amie.

J’ouvris la porte de la maison, le ventre vide et la tête remplie de mauvaises nouvelles.

Mon état de délabrement moral contrastait violemment avec le bonheur de la famille de mon amie, tout occupée à amuser et à railler affectueusement la petite Sata, âgée de six mois.

 Je leur aurais presque reproché de montrer autant de joie quand moi j’étais emprisonnée dans l’angoisse.

Je racontai à Ndèye Khady ce qui m’était arrivée, et repris le chemin pour rentrer chez moi.

Ndèye Khady, m’a-t-elle raccompagnée comme à son habitude, ce jour-là ? Je ne m’en souviens plus. Les nouvelles m’avaient précédée chez moi, diffusées par des visiteurs. Moi, j’avais vu desblessés, eux, ils avaient vu des morts.

Babaabe looti