Taisez-vous, vous êtes le président d’une République
Yacoub Ould Dahoud est jeune, il a dépassé de très peu ses quarante printemps. Il a de la famille, une épouse, des enfants en bas âges. Il a également des frères, des sœurs, peut-être, des parents, des cousins, des amis. Il y a une semaine, Yacoud s’est immolé. Il y a deux jours, il est mort. Il a quitté ce monde. Tout ce monde. Dont, justement, les siens, tous. Ceux qui l’aiment. Ceux qu’il aime. A tout ce monde, il a préféré la mort. La mort, la plus douloureuse, finir sa vie par le feu. Yacoub est issu d’une famille aisée. Il ne manquait, certes, de rien. Malgré tout cela, toutes ces attaches, tout cet amour, toute l’aisance, il s’est donné la mort. Il s’est brûlé vif, devant la bâtisse du Sénat, à quelques encablures de la présidence, à quelques mètres des ministères de l’Intérieur, des affaires étrangères, de la défense, en face de la banque centrale de Mauritanie. Il aurait pu finir ses jours chez lui, dans sa chambre à coucher, en ingurgitant une surdose de médicaments. Et, mourir…Il aurait pu opter pour une noyade. Et, mourir…Il aurait pu se faire tuer, en entraînant avec lui d’autres vies humaines. Mais, Yacoub a voulu se brûler seul. Il a surtout choisi le lieu de l’immolation. D’une multitude d’endroits, Ould Dahoud a désigné le lieu de son acte. C’est une symbolique. Importante. Il s’est immolé au cœur d’un conglomérat d’institutions de la République. Son acte est d’abord une expression de colère contre toutes ces institutions. Contre la République à laquelle celles-là s’identifient.
Alors qu’il endure ses dernières souffrances, dans un hôpital étranger ; et que les siens et même des tiers s’inquiètent sur son sort, le premier citoyen du pays, le président de la République, celui-là s’improvise une sortie, dans l’une des boutiques mises en place, suite à la fuite du dictateur tunisien, rien que pour commenter l’acte du mourant . Mohamed Ould Abdel Aziz, interrogé, comme par hasard, par un journaliste l’agence de presse gouvernementale, dit que ‘’la Mauritanie est différente de la Tunisie. Et qu’en Tunisie c’est un pauvre qui s’est immolé. Contrairement, renchérit-il, à la situation en Mauritanie, où l’immolation est réservée aux hommes d’affaires à cause de l’arrêt des pratiques malsaines.’’ Ces propos ont été diffusés, en boucle, par la télévision nationale et bien d’autres médias. Ces propos représentent, donc, la position officielle de la République Islamique de Mauritanie. ‘’En Mauritanie ce sont les hommes d’affaires qui s’immolent par ce qu’ils ne peuvent plus se livrer à la malversation’’. Ce sont les paroles d’un président, s’il vous plait. Quel manque de classe ! Quelle Rustrerie ! Sommes-nous tombés aussi bas pour que celui qui incarne la République s’exprime de la sorte ? Sommes-nous tombés aussi bas pour que le premier magistrat du pays profère de telles indélicatesses ?
Quand il a lancé ses rusticités, Mohamed Ould Abdel Aziz s’adressait aux pauvres, auxquels il voulait faire plaisir. Ce n’est pas la première fois que le président de la République s’essaie de s’attirer la sympathie des pauvres, en prétendant s’attaquer aux riches. A chaque fois qu’il ‘’se démange’’ à offenser les riches, il s’invente une visite, dans un service public, au milieu d’un quartier périphérique, où des pauvres l’y attendent pour partager avec eux ce qu’il pense être à la fois une prouesse et un cadeau pour ses amis, les pauvres.
Mais, là, le Président est allé très loin. Il a outrepassé toutes les règles de convenance et de bienséance. La Situation dans laquelle se trouvait, alors, le malheureux Yacoub Ould Dahoud, entre la vie et la mort, invitait à autre chose que le sadisme cruel teinté d’un sarcasme inopportun. La situation dans laquelle se trouvent les parents de Yacoub, les siens, les amis, ses enfants, sa femme n’incite ni à la férocité, encore moins à l’inhumanité. Au contraire, l’heure devait inspirer le président de la République à la compassion, la commisération et la mansuétude. L’heure est aussi, celle de la Grandeur. La grandeur des hommes. La grandeur des cœurs et des âmes.
Libre à Mohamed Ould Abdel Aziz d’épouser la cruauté. D’en procréer engeance succédant engeance. Libre au président de la République de cultiver la bassesse, de la faire pousser dans son jardin présidentiel et de faire brouter ces fruits fétides à ses sbires. Libre à lui de jouer l’imposture avec les pauvres. Leur prouver qu’il est l’un d’eux. Mais, à Mohamed Ould Abdel Aziz, le Président, il n’est pas permis de blesser aucun compatriote de quelle classe qu’il soit. C’est la posture présidentielle qui l’en empêche !
On comprendrait très mal l’arrogance d’un homme politique intègre, intelligent, cultivé et sans le sous, qui, après plusieurs décennies de lutte politique, est parvenu, finalement, à être élu président d’une République. On apprécierait mal l’insolence d’un officier militaire, droit, courtois, qui dédaigne l’argent. Même si son parcours a été comblé de pléiade de triomphes, de distinctions en cascade, de médailles, en se voyant couronner, au finish, par le plus haut grade de armée.
On a comme l’impression que Mohamed Ould Abdel Aziz se trompe lourdement sur les Mauritaniens, tout comme il se trompe beaucoup sur lui-même. C’est comme s’il croit qu’à force de fustiger ce qu’il se plait à appeler les symboles de la gabegie, cela l’immuniserait en quelque sorte de cette tare et le placerait dans la sphère de l’intégrité. Que cela écarterait d’un revers de la main ce qu’il est, ce qui a toujours été. Mais, ce que Mohamed Ould Abdel Aziz ne sait pas est que les Mauritaniens savent tout sur lui. Dans ce pays, personne ne peut tromper personne. On sait tout sur chacun. On sait exactement chiffrer au millimètre près la fortune de l’actuel président. On sait aussi quand est ce qu’il a acquis tel patrimoine foncier ou tel patrimoine roulant. On sait toutes les sociétés privées qu’ils possèdent. Mais, les Mauritaniens, en général, n’aiment pas trop mettre à nu les hommes. C’est une entente tacite et presque millénaire. Ils n’aiment pas trop aiguiser les haines et le mépris. Mais, le problème est que les Mauritaniens ne sont finalement que des humains. Et, l’élément humain est imprévisible, Monsieur le président. Poussé et touché dans sa chair, surtout dans sa dignité, bref, dans ce qu’il a de plus cher un homme pourrait l’amener à commettre le pire.
Et, le pire, on l’a vu. C’était quand Yacoub Ould Dahoud s’était immolé. Par cet acte extrême, cet homme d’affaire, comme vous dites, a placé la barre de la colère à l’apogée de l’anéantissement de soi. Or, par un acte beaucoup plus raisonné, un homme en colère parviendrait à faire un choix, à opter pour une expression parmi les strates de réactions dont le sommet pyramidal a été atteint, justement, ce jour-là, par le défunt Yacoub Ould Dahoud.
Il est des moments où le silence s’impose surtout pour un président qui n’a rien à dire et qui le dit très mal.
Sidi Mohamed Taqadoumy