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Devoir de mémoire: DE WALATA, CAMP DE LA MORT, par feu Habib Ould Mahfoudh
Civils d´octobre 1986 et militaires d´octobre 1987 arrivent ensemble dans le fort maudit. Ils sont enchainés. La ration d´eau quotidienne ” : 2 boites de Gloria”. La nourriture : riz bouilli et sable. Les travaux forcés de 8 heures du matin jusqu´à 20 heures à peu prés. Vexation sur vexation. On les avertit à l´arrivée ” : On veut vous tuer à petit feu. Quelqu´un déconne, on le fusille et on dit à Nouakchott qu´il est mort de dysenterie.”
On leur a tout pris à leur arrivée : montres, bagues, argent, radios.» On ne nous a rien donné pour vous. Contentez-vous de ce que vous avez. Pas de syndicalisme. Vous travaillez, un point c´est tout”. La faim. La soif. Maladies.Les hommes deviennent des zombies.
Le 22 mars 1988, 22 détenus âgés ont essayé d´enlever leurs chaînes aux pieds afin de pouvoir ôter leurs pantalons pour prier correctement. Ils ont été torturés. Plus simulacre d´exécution derrière le fort. Aprés cet incident, les conditions de détention se détériorent, en admettant que ce fût possible. On bouche les vasistas qui éclairaient les cellules. On fait courir le bruit ensuite que les détenus de Walata ont essayé de prendre la fuite. Parce que les autorités savaient que tous étaient sur le point de mourir. Effectivement, Le 26 août 87 meurt l´adjudant de gendarmerie BÂ Alassane Omar ; le 2 septembre, c´est l´écrivain Téne Youssouf Guéye qui succombe ; le 13, le lieutenant Ba Abdoul Qudus, le 28, l´ancien ministre Djigo Tafsirou. 32 prisonniers ne pouvaient plus marcher. D´autres se nourrissaient de feuilles d´arbres, d´insectes. Les vêtements se déplaçaient tout seul à cause de la multitude de poux qui les infestaient. L´abjection ne connait pas de bornes.
La communauté internationale s´émeut. Les civils partent pour le fort d´Aïoun le 30 octobre 1988. Les militaires les rejoindront le 31 janvier 1989. C´est nettement mieux.”C´était la fête, par rapport à Walata”. Les détenus vivent dans des cellules spacieuses. Ils font même du sport. Foot et basket. Les familles sont autorisées de visite en mars. Les événements mauritano-sénégalais durcissent la détention. Sans jamais égaler Walata. Le 12 décembre 1989, remise de peine d´une année. Les civils condamnés á 4 ans sont libérés. Les autres le seront le 14 septembre 1990.Les militaires bénéficieront de l´amnistie du 3 mars 1991.
Habib Ould Mahfoudh
Mauritanie Demain, numéro 23 (AOUT 1991)
Mauritanie : vivre et mourir en esclave par Faten Hayed(reportage)
Viol, torture, travail forcé… En Mauritanie, dernier pays au monde à avoir aboli l’esclavage en 1981, des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants vivent toujours cloîtrés et maltraités par leurs «maîtres», dans l’indifférence d’une société qui refuse de se regarder en face. El Watan Week-end a rencontré des militants et des esclaves affranchis qui se battent pour la dignité.
«Je ne me souviens pas de mes parents. Depuis que je suis toute petite, je n’ai connu que mes maîtres.» Mbarka, jeune esclave noire, a été libérée par le militant des droits de l’homme et anti-esclavagistes mauritanien, Birame Ould Dah Ould Abeid. «J’étais la propriété exclusive de mon maître, poursuit-elle. Je dormais sur une natte, j’étais chargée des travaux domestiques, de la cuisine, des animaux et d’autres travaux. Un jour, mon propriétaire m’a violée. Je crois que je n’avais pas encore mes règles, je ne comprenais pas ce qu’il m’arrivait. Quelques semaines plus tard, c’est son fils, âgé de 20 ans, qui m’a persécutée et violée. Je ne sais pas pourquoi ils m’ont fait ça, alors que j’étais très obéissante», raconte Mbarka. On a du mal à deviner son âge, puisqu’elle ne possède aucun papier de l’Etat civil, ni parents, ni lignée, ni carte nationale. Mbarka a les traits d’une poupée qu’on ne voudrait toucher, le regard pénétrant qui raconte une intense douleur. «Quand ma maîtresse finissait de manger, elle crachait dans la marmite, ou dans ma gamelle avant que je ne mange moi-même, c’était mon quotidien et je l’acceptais.» L’esclavage en Mauritanie, pourtant aboli en 1981 et puni par la loi depuis 2007, est une réalité ancrée dans les traditions et les mœurs. A la fin du mois de novembre, le Conseil des ministres s’est réuni pour adopter un projet de loi prévoyant que les crimes d’esclavage et de torture soient classés crimes contre l’humanité. Le texte prévoit, à l’égard des auteurs de crimes de torture et d’esclavage, des sanctions pénales : peines de prison, amendes et autres peines complémentaires comme la privation des droits civiques.
Propriété
«Il est impossible aujourd’hui d’avoir des chiffres ou des statistiques sur l’esclavage en Mauritanie, car l’Etat refuse de faire des enquêtes, alors que l’Union européenne a financé une étude qui n’a jamais été réalisée ! Quand on a essayé de faire des enquêtes à l’intérieur du pays, on a rencontré beaucoup de difficultés, dénonce Boubacar Messaoud, président de SOS Esclaves. L’esclavage en Mauritanie existe depuis des siècles. L’esclave appartient à son maître, il peut le frapper, le violer ou même l’assassiner. En Mauritanie et dans le monde musulman, l’esclavage n’a jamais été contesté. Il n’a pas été construit en tant que rapport humain. L’islam a été instrumentalisé pour justifier la domination et le rendre acceptable. L’esclave aujourd’hui se considère propriété de son maître et il peut même s’en vanter. Pour un esclave, c’est le maître qui est son modèle, et non son père, puisque la plupart ne connaissent pas leur père. C’est son unique identité.»A 67 ans, Boubacar Messaoud combat l’esclavage en Mauritanie, mais aussi en Afrique. Conscient que c’est un problème profond dans la société africaine, le militant explique que l’esclavage n’est pas propre aux «Blancs», puisque on trouve également ses racines «dans les ethnies africaines. Cependant, tant que l’esclave ne conteste pas, les maîtres nieront formellement son existence.»
Cicatrices
Il faut prendre un taxi pour se rendre chez Birame, le militant des droits de l’homme. La maison de Birame se situe dans l’extension de la capitale mauritanienne, là où le sable s’engouffre dans les maisons. Le taxi pénètre difficilement le quartier étroit et mal éclairé. Il faut compter sur la générosité des habitants pour nous montrer le chemin.
Quand on se trouve au centre-ville, tout le monde, ou presque, jure que Birame possède une grande maison avec des voitures, l’accusant de détourner «l’argent des étrangers». Finalement, la maison n’est pas grande, elle est toujours en travaux. Deux ou trois lampes illuminent difficilement la pièce. On nous invite à nous asseoir à même le sol, sur une natte en plastique. Des enfants et des femmes s’approchent de nous. Ce sont tous des esclaves libérés. «J’avais une vie pénible. Je ne me sentais pas vivre, parce que je voyais tous les enfants aller à l’école pendant que je faisais le ménage. Je crois que ce sont les coups qui m’ont le plus marqué», confie Mokhtar. Comme Mbarka, libérée par l’association de Birame Ould Dah Ould Abeid, Mokhtar n’a aucun papier. Spontanément, il montre des cicatrices sur son torse, comme des griffures faites par un instrument métallique. Ce jeune adolescent, dont la sœur et le frère sont jusqu’à présent esclaves dans la demeure du maître de Mokhtar, a aujourd’hui intégré une école. «Mokhtar est un bon élève, ses bonnes notes font notre fierté», déclare Yacouba Diarra, membre du collectif de Birame.
Angoisse
Les militants abolitionnistes libèrent les esclaves en allant voir le maître en premier lieu, afin de proposer une médiation. Si ça ne fonctionne pas, ils engagent une action auprès de la police, en tentant de porter plainte. Souvent cette action échoue. Alors ils emploient les gros moyens. Birame, par exemple, a été emprisonné, et d’autres comme lui, en s’attaquant directement aux maîtres. La plupart du temps ce sont de vraies opérations de «sauvetage»! Le cas de Said et Iyad est tout aussi révoltant. Les deux frères ont été secourus par Birame et ses militants. Said, 14 ans, est venu voir Birame pour l’aider à sauver son jeune frère. Après dix jours de détermination, ils y parviennent. Bilal, la trentaine, a fait l’objet d’un documentaire réalisé par Arte en 2008, Chasseurs d’esclaves, de Sophie Jeaneau et Anna Kwak. «J’ai échappé à mon maître, mais je n’avais en tête que sauver ma sœur», mtémoigne Bilal, les yeux dans le vague, parfois fuyants.
Livre maudit
Son histoire, il l’a racontée et la racontera longtemps. Bilal porte plainte et dénonce une famille maure, qui détient sa sœur. «L’image de ma sœur travaillant sans arrêt, puis violée m’insupportait, j’en été malade», ajoute-t-il. Les enfants et les femmes sont toujours les plus vulnérables. La sœur de Bilal, la quarantaine ou plus, maigre, enveloppée dans une mlahfa sombre, se lève et raconte toutes les exactions innommables qu’elle a endurées. Ses yeux traduisent une profonde angoisse qu’elle tente de cacher. «Les viols étaient mon quotidien. Je n’osais pas regarder mon violeur dans les yeux, alors je ne me souviens que des ombres. Je ne touche jamais ma peau, ni mon corps, de crainte de frôler mes blessures.»
Puis conclut dans un sourire, «Bilal m’a sauvée, je suis heureuse.» En avril 2012, l’Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste (IRA) décide de brûler des livres auxquels ils reprochent «beaucoup de paragraphes sur ce que nous pouvons appeler la jurisprudence du faux, ce fiqh qui fonde l’esclavage et les pratiques similaires qui sont à l’antipode de la vraie religion». Moukhtassar Khalil, le livre de toutes les polémiques en Mauritanie. On le trouve aussi bien dans les librairies traditionnelles de Nouakchott, que dans d’autres pays africains. «Ce livre devient une référence pour les esclavagistes», dénonce Balla Touré, secrétaire aux relations extérieures de l’Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste en Mauritanie.
Castration«On lit à la page 32 : “La femme esclave ne doit pas cacher son corps, contrairement à la femme libre, mais si son maître la possède et trouve un enfant avec elle, même sans mariage, elle doit se comporter comme les femmes de ‘‘bonne extraction’’ (se couvrir).» Le maître est alors autorisé à faire de son esclave «sa chose» et «à avoir avec elle des relations sexuelles, même quand elle est mariée, et ce, même devant son époux de même condition qu’elle !»
Par ailleurs, Balla Touré explique qu’à la page 118, il est écrit que le maître peut «à tout moment prononcer la nullité du mariage de son esclave (homme ou femme), s’il veut le ou la vendre, par exemple. Le maître peut castrer son esclave pour qu’il s’assure qu’il n’aura pas de rapports avec sa maîtresse.» Dans le milieu des Maures ou Beydanes se réclamant arabes, on ne veut pas parler d’esclavage. On nie même son existence. Pourtant, certains Maures tentent de renverser la tendance, comme ce journaliste de la télévision mauritanienne et militant à SOS Esclaves. «Les Beydanes se cachent derrière les imams et chouyoukh pour se justifier. Tant que les religieux ne s’insurgent pas contre cette pratique, la société mauritanienne ne réussira jamais son évolution.»Kaaw Touré, porte-parole des Forces de libération des Africains de Mauritanie (FLAM) est plus intransigeant. Pour lui, la Mauritanie est «une bombe à retardement». Il suppose que le problème de coexistence entre les communautés négro-mauritaniennes et Beydanes repose sur une «politique volontairement et exclusivement panarabiste, privilégiant la communauté beydane à tous les points de vue au détriment de la communauté noire. A cause de cette désastreuse et chauvine politique, on constate qu’aujourd’hui les rapports entre ces populations restent marqués par la méfiance, la suspicion et le ressentiment au lieu de la solidarité et de la fraternité qui auraient dû fonder notre coexistence. Je ne vous apprends rien en vous disant que ces rapports ont été davantage altérés par les purges ethniques, les déportations et massacres des populations civiles et civiles noires des années 1986-1991.»
Faten Hayed Elwatan-Algérie
du 14 decembre 2012.
FLAMNET-RÉTRO: Oualata : chronologie funèbre par Boye Alassane Harouna- Écrivain et rescapé de Oualata.

«Ce sera le 26… » ou le début de la série noire

Parfois, en raison de la faiblesse extrême des malades, il fallait s’y mettre à deux pour les assister. Le détenu avait beau être malade au point d’en être paralysé, son état, fût-il manifestement critique, il n’était jamais acquis d’avance qu’il fût transféré par les geôliers, comme nous le verrons avec la mort de Bâ Abdoul Ghoudouss.
Elle était dépassée. Il s’agissait présentement de savoir quand et combien de morts il y aurait au bout de l’épreuve ? Mais s’il est vrai que pour bon nombre d’entre nous, nos conditions de détention suggéraient de telles questions, nous étions loin de penser que huit mois et seize jours après notre arrivée dans le fort de Oualata, nous serions frappés, dans l’espace d’un mois seulement, par plusieurs deuils. Cela commença le 26 août 1988. Ce jour, à 16 heures5, Bâ Alassane Oumar rendit l’âme.
Dans la dernière semaine du mois d’août, il nous sembla que son état s’empirait. Nous pensions que c’était passager et qu’il allait se rétablir. Mais le 26 août 1988 dans l’après-midi, sa respiration devint si difficile qu’un groupe de camarades vint à son chevet. Ses difficultés respiratoires croissaient de plus en plus. Visiblement Bâ Alassane Oumar agonisait. Et puis, au terme d’un ultime effort pour respirer, il rendit l’âme. Il était 15 heures 5. Aussitôt la nouvelle fit le tour de toute la salle. Elle nous plongea dans une profonde tristesse. Nous informâmes nos geôliers.
Notre demande fut acceptée. Une liste définissant nos besoins pour l’exécution de la cérémonie funéraire fut établie. Elle comprenait sept mètres de tissu de percale pour le linceul, du parfum pour parfumer le linceul, une aiguille et du fil pour coudre les différentes parties du linceul, du savon pour laver le corps du défunt.
Nous étions convaincus que de toutes les façons, il n’était que passager.
Excepté les malades incapables de se déplacer, tous les détenus formèrent une colonne. Et dans un silence tout religieux, escortés par les gardes, ils prirent la direction du cimetière. Quelques camarades chargés de creuser la tombe du défunt s’y trouvaient déjà. Une fois au cimetière, le corps du défunt fut déposé sur une couverture. Face à lui, nous formâmes plusieurs rangées. Et, sous la direction de notre imam Djigo Tabssirou, la prière à l’intention des morts fut accomplie. Un garde l’effectua avec nous. Lorsque celle-ci fut terminée, le corps du défunt fut introduit dans la tombe qui fut entièrement recouverte de terre. Ensuite, tous regroupés autour de la tombe de notre compagnon, et toujours sous la direction de notre imam Djigo Tabssirou, nous récitâmes quelques versets coraniques pour le repos de l’âme du défunt.
Gaye Silly SOUMARE (1930 – 2012) : Un acteur majeur de la construction nationale s’est éteint
Gaye Silly Soumaré s’est éteint le mercredi 18 juillet 2012 à Nouakchott dans l’indifférence presque totale. Pourtant, l’homme fut un des acteurs majeurs de la construction de la Mauritanie. Si les propositions relatives à la cohabitation nationale du comité paritaire qu’il a présidé en 1958, après le congrès d’Aleg, avaient été explorées et prises en compte par les politiques, notre pays aurait peut être fait l’économie des tragédies connues.
Homme d’Etat au parcours exceptionnel, un des premiers administrateurs civils mauritaniens, militant anticolonial dans sa jeunesse, Gaye Silly Soumaré mérite un hommage national.
Le contexte politique de son engagement
Né en 1930 à Wompou, au Guidimakha, il a effectué sa scolarité au collège de Rosso avant d’intégrer l’école Normale William Ponty au Sénégal où il a obtenu le baccalauréat en 1951, puis un Certificat d’Aptitudes Pédagogiques (CAP) en 1953. Il exercera le métier d’instituteur jusqu’en 1957. Il fit ses premiers pas politiques, la même année, comme membre du bureau politique de l’Association de la Jeunesse Mauritanienne (AJM) fondée le 24 novembre 1955 à Rosso.
L’AJM était animée par des jeunes comme Mohamed Ould Cheikh, Ahmed Baba Ould Ahmed Miské, Tiécoura Dembelé, Yacoub Ould Boumédiana…, en rupture de banc avec les adultes de la maison mère, l’Union Progressiste Mauritanienne. Sensibles aux luttes de libération dans les colonies, les jeunes militants de l’AJM s’étaient fixés comme programme : « réaliser l’unité de tous les jeunes mauritaniens sans discrimination…. en vue de contribuer à l’éducation culturelle et civique des populations , de réaliser les objectifs et les aspirations légitimes du peuple à la dignité, au savoir, à la liberté et à l’égalité sociale, de combattre le népotisme, l’ignorance, le régionalisme, les séquelles de l’impérialisme et les visées du néocolonialisme ». L’AJM ne survivra pas aux coups de l’UPM et donnera naissance à la Nahda.
Cette expérience forgera la future carrière de Gaye Silly Soumaré lorsque souffle le vent des reformes politiques instituées par la Loi – Cadre en 1957 (loi dite Defferre, adoptée le 23 juin 1956) accordant l’autonomie interne aux territoires d’Outre–mer. Il répondra en 1958 à l’appel de regroupement de Mokhtar Ould Daddah élu Vice – Président du Conseil de Gouvernement (premier gouvernement de Mauritanie) en Mai 1957. L’existence de la Mauritanie, dans ses frontières actuelles, était menacée surtout par des visées territoriales du royaume chérifien qui avait trouvé un allié en la personne de Horma Ould Babana. Le président de l’Entente Mauritanienne, après sa défaite à la législative de 1956, trouva refuge au Maroc d’où il mena des attaques armées contre la Mauritanie jusqu’à la veille de l’indépendance.
Le Congrès d’Aleg qui lui a confié une mission de consolidation de l’unité nationale révèle un homme de dialogue et de consensus
C’est dans ce contexte que fut convoqué et organisé le congrès d’Aleg du 2 au 5 mai 1958 pour préparer l’indépendance de la Mauritanie dans sa forme actuelle. Pour cela, Mokhtar Ould Daddah, chef du parti de l’Union Progressiste Mauritanie (UPM), pris soin d’inviter toute l’opposition intérieure – y compris ce qu’il reste de l’Entente Mauritanienne – à créer un rassemblement à travers sa formule restée célèbre « Faisons ensemble la patrie mauritanienne ».
Ce congrès verra donc la participation de tous les poids lourds de la politique de l’époque qui optent pour :
– participer à la communauté française avec option pour l’indépendance
– créer un nouveau parti, le Parti du Regroupement Mauritanien (PRM), qui remplace l’UPM, et deviendra le Parti du Peuple Mauritanien (PPM)
– désigner un comité paritaire (quatre noirs et quatre maures) chargé de faire des propositions sur la cohabitation nationale, présidé par Gaye Silly Soumaré et Mohamed Ould Cheikh. Les conclusions de ce comité sont restées lettres mortes, enfouies dans les tiroirs du PPM.
La non application de ces recommandations, conjuguée à une volonté politique de non prise en compte la lancinante question de la cohabitation, eurent pour conséquences à court, moyen et long termes :
– La création en juillet 1959 et en 1960 de deux partis à assises régionalistes. D’un côté l’Union Nationale Mauritanienne (UNM) qui entendait « préserver les liens historiques avec la Fédération du Mali » et de l’autre l’Union Socialiste des Musulmans Mauritaniens (USMM), une formation politique plutôt implantée à Atar.
– En 1963, plusieurs cadres noirs, déçus de la suite réservée aux résolutions du congrès fondateur d’Aleg, regroupés au sein de l’Union Générale des Originaires de la Mauritanie du Sud (UGOMS) écrivent en substance ceci au Président de la République « Nous ressortissants de la Mauritanie noire, adjurons le Congrès, le Parlement et le Chef de l’Etat de réviser immédiatement les structures de l’Etat, dans un sens Fédéral pour répondre à la volonté du pays ».
– En février 1966 c’est au tour de 19 cadres noirs de rédiger le manifeste dit des 19, un manifeste qui inspire un autre vingt ans plus tard ….. Puis 1986, 1989……..
Conscient de la situation, Gaye Silly Soumaré sera un des rares Maires à protester officiellement en 1989, en écrivant au Président de la République de l’époque pour dénoncer et demander l’arrêt des exactions commises contre ces administrés du village de Wompou.
Un homme d’Etat, à la carrière bien remplie, paradoxalement peu connu
Ayant répondu à l’appel au rassemblement, Gaye Silly Soumaré fut nommé en mai 1958 chef de cabinet du Ministre de l’Urbanisme. Il a occupé depuis de hautes fonctions de l’Etat en rapport avec son diplôme de droit et d’administration publique (cadre des administrateurs civils) obtenu au tout début des années 60 à la prestigieuse Ecole Nationale de la France d’Outre–mer qui devient l’Institut des Hautes Etudes d’Outre–mer.
A son retour en Mauritanie, il exerce tour à tour dans l’administration territoriale les fonctions de :
– Chef de Subdivision (Préfet) de Boutilimit
– Commandant de Cercle (Gouverneur) du Trarza, du Brakna et du Tagant d’où il est rappelé pour avoir refusé d’exécuter certains ordres contre les 19 signataires du Manifeste cité plus haut. La sanction ne se fait pas attendre, il est affecté à l’administration judiciaire
Dans l’administration centrale, entre 1962 et 1969, il est nommé :
– Directeur de l’administration judiciaire
– Directeur de cabinet du Ministre de l’Intérieur et Directeur de l’Administration Territoriale
– Inspecteur Général de l’administration
– Inspecteur Général des Finances auprès de la Présidence de la République, un poste qui est devenu le Contrôle Général de l’Etat.
– Secrétaire Général du Ministère de la Défense puis du Ministère des Finances.
Il quitte l’administration centrale en 1971 pour entrer dans la diplomatie :
– Conseiller à Bonn, Allemagne, à ce titre, il représente la Mauritanie aux Assemblées Générales des Nations Unies.
– Ambassadeur en Tunisie (1973–1976) accrédité en Turquie, Grèce et Yougoslavie
– Ambassadeur en URSS (1975–1980) accrédité dans chacun des pays européens membres du Pacte de Varsovie.
Il mettra ses qualités de dialogue et de négociateur à nouveau au service de son pays en 1975-1976 comme membre de la délégation mauritanienne à la Cour Internationale de la Haye qui devait se prononcer sur le litige qui a opposé la Mauritanie au Maroc sur le Sahara Occidental.
Admis à faire valoir ses droits la retraite en 1984, il se consacra aux siens, à son village, Wompou qui l’élit Maire en 1989 et en 1991. En 1994 puis en 1998, il est élu Sénateur, représentant les Mauritaniens de l’étranger (zone Europe).
Gaye Silly Soumaré est parti comme il a vécu, discrètement. La patrie doit lui être reconnaissante. A l’image de ses compagnons historiques, la Mauritanie doit se souvenir d’eux et inscrire dans la mémoire collective de nos concitoyens des hommes et des femmes qui ont construit notre pays, parti de rien. A ce titre, la Mairie de Nouakchott en association avec les autorités centrales qui ont hérité de son savoir faire, devrait consacrer une artère de la capitale à son nom.
Que son âme repose en paix dans la terre de Mauritanie pour laquelle il s’est investi. Amine.
Ciré BA et Boubacar DIAGANA – Paris.
Source: ODH.
Abdoul Aziz Ba, Président des “19”, est décédé!
Premier magistrat mauritanien, sortant de l’Ecole Nationale d’Administration de Paris, Abdoul Aziz Ba dit “Zeus” est né officiellement en 1937. A son retour en Mauritanie, il est nommé Président du Tribunal de Première Instance de Nouakchott ce qui ne l’empêcha pas de s’opposer ouvertement à la politique de mise à l’écart des noirs.
– En Février 1966, il préside le mouvement des “19” qui publie le celèbre Manifeste du même nom. Ils (les 19) sont arrêtés et mis en prison à N’Beika puis à l’école de police de Nouakchott. Ils sont libérés suite à l’intervention du Président Senghor. Il s’exile alors au Sénégal qui l’accueille à bras ouverts. Depuis et jusqu’aujourd’hui, il occupe les plus hauts postes dans la justice sénégalaise:
– Président de la Commission de Transparence et de lutte contre la Corruption
– Président du Conseil d’Etat
– Vice – Président du Conseil Constitutionel
– Conseiller au Conseil d’Etat
– Conseiller à la Cour Suprême
– Président du Tribunal Régional de Thiès
– Substitut du Procureur de Dakar
Ses relations avec le Président Abdou Diouf, son camarade de promotion, furent tendues puis distantes à partir de 1989. Reprochant à Diouf sa gestion laxiste des événements de 1989, il n’hésita pas à outrepasser son obligation de réserve en publiant des articles dans la presse sous le pseudonyme de Guéladio Ba.
Depuis, il est devenu un ami intime, un très proche du Président Abdoulaye Wade. La mort vient de les séparer. Qu’Allah l’accueille en son paradis.
Ciré Ba et Mamadou Bocar Ba.