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FLAMNET-AGORA:Droits de l’homme et unité nationale en Mauritanie.
Depuis un certain temps nous remarquons un regain d’intérêt pour le thème de l’unité nationale en Mauritanie, en grande partie redevable au retour fracassant des FLAM (devenues FPC depuis août dernier). Si bien que c’est aussi dans cette direction le groupe Mauritanie- Perspectives en fait son principal cheval de bataille. En effet, dans une démarche beaucoup plus sérieuse et solennelle, ce groupe demande à ce que tous les citoyens participent à la recherche de solutions adéquates aux problèmes de cohabitation de nos différentes communautés. En effet, de profondes réflexions sur des thèmes proposés pourraient servir comme base solide aux éventuelles discussions formelles à la refonte nécessaire de notre société. Seulement, la plus grande difficulté serait de s’accorder sur la définition du concept et de placer chaque thème dans un cadre généralisé en relation avec les autres. Pour ma part, je m’intéresserai au rôle des droits de l’homme dans le cadre de cette unité nationale voulue par nombre de nos concitoyens. Ainsi, je tenterai de faire une analyse de la situation du pays par rapport au respect des droits de l’homme sur le plan individuel et collectif. De quels droits s’agiraient-ils, quelles sont les incidences de cette action ou de l’inaction dans l’application de ces droits par l’État mauritanien sur le plan national et international. Et quel rôle jouent les autorités dans leurs décisions de respecter ou de violer les droits de l’homme sur l’unité nationale. En définitive, quelles propositions suggérées pour solutionner le problème de la question nationale en Mauritanie.
Aujourd’hui, il est généralement admis comme principe universel que le respect des droits de l’homme fait partie des éléments essentiels à l’existence réelle de la démocratie dans le monde. Mais, que signifie cette notion ? Quelles sont ses bases juridiques et politiques ? Quelles sanctions prévues en cas de violations graves de ces droits ? Quelles sont les juridictions compétentes en la matière, et quelles réparations possibles ? Pour cerner le sujet, il est nécessaire de revenir sur l’historique et la signification de la notion des droits de l’homme.
De manière très succincte, nous pouvons dire que cette notion tire ses sources de deux traditions. Celle de la Renaissance avec le Droit Naturel et celle de la Reforme avec le Droit Divin. Ces traditions se fondent sur l’existence des lois universelles intemporelles et imprescriptibles qui sont supérieures à la volonté des pouvoirs politiques. Ces lois naturelles reconnaissent à l’ensemble des êtres humains une égalité devant leurs droits fondamentaux. S’inspirant de ces sources, dans son préambule et dans son article 1, la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme proclame sans équivoque les droits inhérents à tous les êtres humains : « Considérant que la méconnaissance et le mépris des droits de l’Homme ont conduit à des actes de barbarie qui révoltent la conscience de l’humanité, l’avènement d’un monde où les êtres humains seront libres de parler et de croire, libérés de la terreur et de la misère, a été proclamé comme la plus haute aspiration de l’homme… Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. »
Dès lors, il est opportun de voir dans les faits si ces droits précités sont respectés en Mauritanie. Dans le cas où la réponse est négative, y ‘aurait-il de réparations faites a l’intention des victimes ? Nous pouvons affirmer sans risque d’être démenti que la violation des droits de l’homme est monnaie-courante dans tous les pays du monde. La différence se situe au niveau de l’intensité et de la gravite de l’acte. Mais aussi aux réponses données par les pouvoirs publics en vue de corriger les torts causés. Chez nous, en Mauritanie, je considérerai deux types de cas : celui que nous appelons communément par euphémisme, ‘’passif humanitaire’’ et l’autre qualifié de ‘’problème social’’.
La notion de passif humanitaire dans notre pays fait référence aux violations massives des droits de la communauté noire non Harratine durant la période des années 1986-1992. Une discrimination basée sur le racisme d’État à l’encontre de la population noire considérée comme récalcitrante et velléitaire au pouvoir des maures. Ainsi, des centaines de personnes civiles et militaires ont été arrêtées, emprisonnées, torturées et certaines seront sommairement exécutées durant cette période. Des rapports des organisations humanitaires nationales et internationales font état entre 120 mille et 200 mille citoyens déportés vers des pays frontaliers à partir du conflit entre la Mauritanie et le Sénégal en 1989. En ce qui concerne la deuxième catégorie, le problème social, qui est en terme simple l’esclavage, est une situation compliquée, car elle n’est plus le résultat des captivités ou ventes des personnes faibles par les plus fortes, mais celui de l’hérédité de la servitude. Si aujourd’hui le discours officiel refuse de reconnaître l’existence de l’esclavage, mais seulement ses vestiges (ses séquelles), les organisations de défense de la cause des esclaves exposent régulièrement la persistance de cette pratique surtout dans les zones de campagne. Bien qu’objectivement il est impossible de quantifier le nombre des esclaves, mais on peut cependant dire qu’un nombre important de mauritaniens se trouve affecté par cette situation.
Cependant, pour des besoins d’honnêteté intellectuelle et dans le souci de garder une certaine crédibilité, je ne peux pas manquer de mentionner certaines actions réalisées par différents gouvernements de la Mauritanie pour tenter de répondre à certaines inquiétudes liées aux problèmes des droits de l’homme. Au-delà des discussions de motivations des uns et des autres, je me limiterais à relater certains faits dans ce paragraphe. En ce qui concerne le problème social, la Mauritanie a voté une loi qui a aboli les pratiques de l’esclavage en 1981. En 2007, une autre loi considère l’esclavage comme un crime passible de 10ans de prison. L’ordonnance 2006-015 du 12 Juillet 2006 portant l’institution de la commission nationale des Droits de l’Homme (CNDH) sera confirmée par le parlement et promulguée en loi le 20 Juillet 2010. Du point de vue du passif humanitaire, le président Sidi Mohamed Ould Cheick Abdallahi a reconnu pour la première fois la responsabilité de l’État et s’est engagé à réparer le préjudice dans un discours à la Nation prononcé le 29 Juin 2007. Quant au président Mohamed Ould Abdel Aziz, il priera a Kaédi le 25 Mars 2009 pour les victimes de la répression sous le régime de l’ancien président Ould Taya. Sans doute les alliés du président aimeraient penser que cette prière équivaut à une demande de pardon de la part de l’État Mauritanien. Aussi, il continuera la politique de rapatriement (entamé par son prédécesseur, Président Sidi) des réfugiés mauritaniens qui résidaient au Sénégal. Enfin, certaines victimes ont accepté de l’argent de la part du gouvernement sous l’actuel président, montants qui représenteraient la réparation du tort causé.
Pourtant, les victimes de la discrimination raciale et sociale sont encore sceptiques de la volonté des autorités de changer le statu –quo. D’aucuns diraient c’est pour de bonnes raisons, car les ex-déportés n’ont pas encore retrouvé tous leurs droits et ceux du Mali ne sont pas encore concernés par le rapatriement ; les marches des organisations humanitaires sont régulièrement interdites et leurs responsables arrêtés et condamnés à des peines de prison. Pendant que des présumés responsables des pogroms contre la communauté noire sont toujours en liberté et occupent des postes stratégiques dans l’administration.
En effet, le principe de la protection et la promotion des droits de l’homme ne peut être garanti que par la lutte effective contre l’impunité. Le Groupe de Bruxelles pour la Justice Internationale définit l’impunité comme ‘’l’omission d’enquêter, de poursuivre et de juger les personnes physiques et morales responsables de graves violations des droits humains et du droit international humanitaire’’. Alors, je remarque la coexistence d’une impunité de fait et celle de droit qui sont entretenues dans notre pays.
La non- application des textes existants, par exemples sur l’abolition de l’esclavage, ou l’absence de législation explicite pour régler définitivement le problème des disparus, crée un sentiment de doute et d’insécurité dans l’esprit des victimes. Cette impunité de fait a installé une attitude de fixation psychologique des victimes sur le présent. Pour ces communautés l’avenir est trop incertain, donc impossible de prévoir et le passé n’existe pas car il est trop douloureux ou trop dangereux. En plus, la Mauritanie refuse de ratifier le Statut de Rome du 17 Juillet 1998, pour une création de la Cours Pénale Internationale. Même si la cour n’a pas d’effet rétroactif, sa ratification pourrait constituer un fait de dissuasion.
A côte de cette impunité que je dirai passive- pour une absence d’action- l’État mauritanien pratique une impunité de droit. La loi d’amnistie 93-23 du 14 Juin 1993 ‘’accordée aux membres des forces armées et de sécurité auteurs des infractions commises entre la période du premier Janvier 1989 au 18 Avril 1992 relatives aux événements qui se sont déroules au sein des forces ayant engendré des actions armées et des actes de violences. Et aux citoyens mauritaniens auteurs des infractions subites aux actions armées et actes de violences et d’intimidations entrepris durant la même période’’. Cette loi interdit toute poursuite et consacre ainsi une impunité de droit aux dépens des victimes. En clair, cette législation a pour objectif d’imposer le silence aux victimes et d’étouffer la mémoire collective. La coexistence de ces deux types de phénomènes installe notre pays dans une culture d’impunité qui est une des causes de l’insécurité actuelle dans le pays au-delà même de la criminalité politique.
Alors, dans ces conditions parler de l’unité nationale devient illusoire car elle est matériellement impossible. À moins de comprendre par ‘’unité nationale’’ comme un ralliement forcé de tous à un programme uniforme sous contrôle d’un seul groupe d’une des communautés. En effet, dans les pays en voie de développement ce concept (unité nationale) est généralement évoqué en vue de justifier la répression et/ou la suppression à l’occasion des coups-d ‘État avérés ou imaginaires. Mais, chez nous en plus de cette considération, certains milieux, généralement qui tournent autour du pouvoir, ont tendance à qualifier tous ceux qui défendent l’idée de la diversité culturelle et ethnique en Mauritanie d’extrémistes, d’antipatriotes, de divisionnistes, et de séparatistes…
La réalité est que pour aspirer à vivre dans un pays qui chérit l’unité nationale, nous devons changer d’attitude et de comportement individuellement et collectivement. L’exigence de la justice et la nécessité du pardon obligent les responsables des pogroms à se faire connaître. Ceux qui sont indexés par les victimes devraient signaler leur disposition à dire leur version des faits devant un tribunal national spécialement prévu à cet effet. Ainsi, ils seront lavés de tout soupçon s’ils sont innocents ou dans le cas contraire, ils pourront demander pardon tout en faisant face à leurs responsabilités et assumer les conséquences de leurs actes. De cette façon, ils auront plus de chance de recevoir la clémence de la part des victimes. Nous devons reconnaître que le mal a assez duré pour l’ensemble des communautés mauritaniennes, et que cela doit s’arrêter. On me dira probablement que c’est irréaliste de demander à des individus, qui ont emprisonné, torturé, tué, violé et déporté des citoyens innocents au nom du racisme et de la haine, de se rendre volontairement pour les besoins de la justice . Je répondrais seulement, de mon expérience de parent, je ne peux imaginer qu’un père raisonnable (dont la raison de vivre devait être portée par l’amour de sa progéniture) voudrait quitter ce monde en léguant à ses enfants le déshonneur et l’indignité sans essayer de se repentir pendant qu’il le pouvait. Par ailleurs, le sujet relatif à ce que doit être le rôle des enfants des présumés responsables dans ce débat de l’unité nationale pourrait être développé avec un autre thème, jeunesse mauritanienne et unité nationale par exemple. Il faut dire que malgré la loi d’amnistie, les faits resteront et la mémoire de l’histoire ne s’effacera pas comme par un coup d’une baguette magique. Quand bien même on supposerait que ces auteurs des crimes n’ont plus de moral pour ressentir la culpabilité et le regret, nous pouvons au moins croire qu’ils sont toujours préoccupés par leurs intérêts égoïstes. Alors, ils devront réaliser que très souvent les oppresseurs et les criminels sont rattrapés par leur passé pendant qu’ils sont encore en vie. Sûrement, les extrémistes Hutu n’ont jamais imaginé qu’un enfant de deux ans (Paul Kagamé) au moment de leur Révolution en 1959 reviendrait de l’exil après seulement 35 années pour ‘’venger’’ sa communauté, Tutsi et prendre les rênes du pouvoir. Une histoire de la vie à méditer !
Quoi qu’il en soit, le Président Mohamed Ould Abdel Aziz a un rôle primordial pour susciter cette transformation de notre société. Non seulement de par sa position, en tant que premier magistrat du pays, mais aussi en fonction de son éducation, son histoire et de ses relations personnelles connues avec certaines personnalités issues de la communauté des victimes. L’actuel président est, à ma connaissance, un des officiers maures les moins trempés dans la situation de discrimination dont ont été victime les Noirs de Mauritanie. Pour cette raison il peut être perçu comme ‘’an Honest Broker’’ donc crédible aux yeux des victimes pour obtenir des résultats satisfaisants pour toutes les parties en présence. C’est le genre d’opportunités qui ne se présente qu’une fois dans la vie d’un homme ! Si le président la saisissait, il resterait à jamais dans les annales de l’histoire du pays.
Pour conclure, l’état actuel des droits de l’homme dans notre pays ne favorise pas l’unité nationale. En effet, la persistance des pratiques d’esclavage et l’impunité des auteurs des années de braise créent un grand fossé entre les différentes communautés mauritaniennes. En plus, les quelques actions réalisées se révèlent plus tôt comme des manipulations politiciennes au lieu d’être de réels engagements en vue de résoudre les problèmes. Pour espérer notre unité, tous ensemble devons fournir des efforts énormes afin d’apaiser le climat général. Une nécessité pour réussir la réconciliation de nos différentes communautés. Et cela passera nécessairement par la résolution de l’énigme qui est l’exigence de la justice et la nécessité du pardon. Cette réconciliation, qui annoncera un contrat social équitable, devrait jeter la base d’une société égalitaire fondée sur la compréhension mutuelle de nos diverses cultures et l’entraide entre nos différentes communautés dont la seule garantie de durabilité reposera sur l’autonomie des différentes régions du pays.
Mamadou Barry dit Hammel
Politologue & Administrateur Publique
Conseiller du président des FPC
Le Processus d’Elimination des Noirs en Mauritanie Par OIGA ABDOULAYE
LA PENSEE UNIQUE ARABE
L’invasion arabe est entrée en Afrique par l’Egypte au XIe siècle. Elle s’est poursuivie en
Afrique du Nord au XIIIe siècle et finit par atterrir dans l’espace qu’on appelle aujourd’hui la
République Islamique de Mauritanie au XIV et XV siècle. Ce sont les Béni Hassan qui sont
arrivés en Mauritanie où ils ont trouvé leurs devanciers les Berbères Sanhadja et les
populations autochtones Soninké de l’empire du Ghana, les Peuls du royaume Tekrour, les
Wolofs du royaume du Walo ainsi que des Serers. Toutes ces populations avaient déjà
embrassé l’islam par une branche Omeyyade vers le VIIème siècle. Les Soninko étaient les
premiers à embrasser l’islam. Les valeurs défendues par cette religion étaient déjà celle de la
société Soninké avant même l’arrivée de l’islam (la propreté, la modestie, la pitié, l’entre
aide, le bannissement du mensonge, de la trahison, du vol, de la violence et de la cruauté
…etc.). C’est par la suite que les Soninko islamisés en compagnie des arabes Omeyyades ont
islamisé les berbères Sanhadja et les autres populations Noires. L’islam a été un facteur
puissant qui a tissé des liens solides et d’unité entre toutes ces populations. Le Mouvement
Almoravide, venu des siècles après cette islamisation a apporté le rite malékite qui renforça
les liens. Le ribat dans lequel étaient enfermés les éléments du Mouvement Almoravide était
le « Tata » du village de Daw dans la Moughata de Maghama situé sur le fleuve Sénégal. La
majorité des mourabitounes étaient des Noirs. La Direction était assurée d’abord par
Youssouf Ibn Tachifin qui fut relayé par Aboubacar Ibn Umar. Les soldats et les chameaux du
mouvement almoravide ont été déterminants dans la conquête de l’Espagne. Les
espagnoles ont eu peur des Noirs et les chameaux qu’ils voyaient pour la première fois. C’est
à cette époque que le soninké El hadj Alpha Diadié a construit dans la ville de Grenade une
mosquée de 365 fenêtres qui existe toujours. C’est dans le cadre de l’application des
préceptes de l’islam (payement de la zakat par Charbabe, exigé par Nasr Dine), qu’est né la
guerre appelée Charbabe entre les Béni Hassan et les Berbères Sanhadja et leurs alliés qui a
duré plus de vingt ans (1645 à 1666). Les Béni Hassan sortirent de la guerre en vainqueurs et
finirent par imposer leur diktat et leur dialecte le Hassanya aux berbères Sanhadja. Ces
populations vécurent ensemble. Ils se marièrent et constituèrent des alliances durant des
siècles avant l’arrivée des Français. A cette invasion arabe viendra s’ajouter au XVIIIème
siecle une autre invasion celle de la France qui colonisa surtout le Sénégal et le sud de la
Mauritanie habitué par des populations majoritairement noires. Elle imposa leur mode de
pensé à travers la création de quelques écoles dans le pays. Elle domina ce pays jusqu’au 28
Novembre 1960, date de l’accession de la Mauritanie à l’indépendance.
A l’accession de la Mauritanie à la souveraineté internationale, la majorité de ses cadres
étaient des ressortissants de la vallée du fleuve Sénégal. Cette situation s’expliquait par le
fait que les populations du sud étaient sédentaires, ont été les premiers à aller à l’école
française. Ainsi, toute l’administration, les forces armées et de sécurité (armée,
gendarmerie, police) étaient occupées majoritairement par des Cadres Noirs ressortissants
du sud du pays. Pour changer cette situation, Mocktar Ould Daddah a engagé une série de
reforme importante parmi lesquelles figure celle du système éducatif national. Cette
reforme du système éducatif devait prendre en compte la langue arabe qui est selon
Mocktar Ould Daddah le meilleur véhicule de la culture des mauritaniens en lieu et place de
la langue française. Conçue et perçue comme tel, cette reforme était juste et équitable. Mais
cette reforme faite sans concertation ni consentement des autres communautés non arabes
ajoutée à l’envoi des éléments Maures qui étaient enseignants, à subir une formation dans
le domaine militaire, tout cela créa une méfiance et une inquiétude des communautés vis à
vis de ces reformes. Au départ, cette politique d’arabisation se heurtait à deux obstacles
majeurs :
1. La revendication du Maroc qui était soutenue par l’ensemble des pays arabes à
l’exception de la Tunisie du combattant suprême Habib Bourguiba. Revendication
selon laquelle la Mauritanie ne pouvait être indépendante parce que faisant partie
intégrante du royaume du Maroc ;
2. L’administration comme déjà indiqué était dominée par les Cadres Noirs
majoritairement francisants.
Etant rejetée par les arabes, la Mauritanie ne trouva son salut que dans le soutien de
l’Afrique noire en particulier dans celui du Sénégal. Lorsque la Mauritanie cherchait à entrer
aux Nations Unies en 1960, elle se heurta à l’opposition du clan du Maroc et du véto de
l’Union Soviétique qui soutenait l’entrée de la Mongolie Extérieure aux Nations Unies. Il
fallait attendre le 21 octobre 1961 pour voir la Mauritanie et la Mongolie Extérieure entrer
aux Nations Unies après un compromis entre la France et l’Union soviétique. On se souvient
du discours mémorable prononcé par le ministre sénégalais des affaires étrangères de
l’époque en la personne de Monsieur Doudou Thiam à la tribune des Nations Unies,
défendant la Mauritanie. Dans ce combat pour l’existence de la Mauritanie en tant que Etat
souverain, il importe de signaler le rôle éminemment important joué par Feu Elhadj
Mahmoud Ba natif du village de Djeol. Il fut parmi les premiers intellectuels arabisants
mauritaniens à envoyer en formation en Egypte des centaines de jeunes ressortissants de
l’Afrique de l’ouest. Il fut victime de plusieurs arrestations et emprisonnements de la part de
l’administration coloniale française. Ceci plusieurs années avant l’indépendance de la
Mauritanie. C’est le premier promoteur de l’enseignement de la langue arabe non
seulement en Mauritanie mais aussi dans les autres pays de l’Afrique Noire. Conseillé à la
présidence de la République, il a été l’artisan du rapprochement et de la réconciliation entre
Mocktar Ould Daddah et Gamal Abdel Nasser de la République Arabe d’Egypte. Il est
regrettable qu’une si haute personnalité ayant consacré sa vie à la promotion de la langue
arabe à travers des écoles El Falah soit jetée dans l’oublie par son pays si fier de son arabité.
Une fois la Mauritanie admise aux Nations Unies Mocktar Ould Daddah poursuivit, mais de
façon plus prononcée sa politique d’arabisation.
La première réaction contre cette politique est intervenue en 1966 à travers un manifeste
rédigé par 19 cadres Noirs qui la dénonçaient. Ce qui créa une confrontation communautaire
qui prit départ à partir du lycée de Nouakchott au mois de février 1966. Au lieu que ce
manifeste amène Mocktar à reconsidérer sa vision et instaurer un débat national pour
trouver un consensus autour de la question d’arabisation du système éducatif qui était du
reste légitime, il l’y a plutôt opposé un refus catégorique.
En juin 1966, il a été décidé au congrès du parti du peuple mauritanien à Aioun El Atrouss,
les grandes orientations de la politique renforcée d’arabisation qui, à terme, éliminerait les
noirs du pays. Mais c’est surtout à partir de 1978 que cette politique a connu un tournent
décisif. Prétextant de mettre fin à la guerre du Sahara pour justifier leur action, des cadres
civils et militaires ayant fait de l’idéologie Baathiste la leur, ont procédé au renversement le
10 juillet 1978 du régime de Mocktar Ould Daddah qu’il trouvait complaisant avec les
communautés non arabes du pays. Les auteurs du coup d’Etat, des batthistes inspirés par la
politique de la pensée unique arabe qu’ils ont importé de l’Iraq de Saddam Houssein, ont
installé un système qui va accélérer le processus d’élimination. La pensée unique arabe
consiste à obliger, dans les pays arabes les communautés non arabes à devenir arabes. À
défaut procéder à leur extermination.
Une fois le coup d’Etat réussi, des civils et des militaires tenant de la théorie du batthisme
se sont constitués en une organisation qu’ils ont dénommée l’avant-garde civilo-militaire.
Cet avant-garde civilo-militaire détentrice du pouvoir depuis le 10 juillet 1978 à nos jours et
ayant fait de la pensée unique arabe leur idéologie n’est composé que d’une petite minorité
d’extrémistes qui se sont imposés au pays depuis lors grâce au pouvoir des armes. La
majorité écrasante du peuple mauritanien ne partage pas leur idéologie. L’avant-garde
civilo-militaire contrôlant déjà les forces armées et de sécurité, plaça ces éléments dans les
autres postes stratégiques de l’administration pour l’exclusion et l’élimination de tous les
cadres Noirs de l’appareil de l’Etat. Parmi ces postes figurent entre autres :
Le
Ministère de l’enseignement. A ce niveau il fallait avoir une main mise sur les
bureaux des bourses et examens. Au niveau des examens, le rôle de ces éléments
consiste à faire un blocage des éléments Noirs tandis qu’à celui des bourses, le rôle
est d’envoyer des centaines et des centaines élèves Maures en formation dans les
pays arabes ;
Le
deuxième poste stratégique est la Direction de la Fonction Publique : à ce niveau
il faut connaitre l’effectif des fonctionnaires et agents auxiliaires Noirs afin de
procéder à la modification des lois et accélérer ainsi leur départ à la retraite. Nous
donnerons à titre d’exemple l’ordonnance N°28 du 31 Décembre 1978 qui est
intervenue six mois seulement après le coup d’Etat modifiant les conditions de départ
à la retraite. Avant 10 juillet 1978, il fallait remplir deux conditions (55 et 30 ans) pour
aller à la retraite. Mais l’ordonnance n°28 a remplacé la conjonction de coordination
et par ou (55et 30 ans). C’est à partir de cette modification que plusieurs Cadres
Noirs ont été vidés de la Fonction Publique; ainsi a été supprimée la double condition
d’âge et de services pour ne retenir que l’une ou l’autre des conditions (30 ans et 55
ans), la loi 9309 du 18 Janvier 1993 portant statut général des fonctionnaires et
agents auxiliaires de l’Etat avait prévu l’intégration des agents auxiliaires de l’Etat qui
étaient majoritairement des Noirs, à partir du 1 janvier 1994. Au lieu de procéder à
l’intégration des ces agents ; la Direction de la Fonction publique a mis à la retraite
plus de huit cent (800) agents auxiliaires en les considérant comme des
fonctionnaires alors qu’ils ne l’étaient pas. Ainsi ces agents jetés dans la rue ne
pouvaient bénéficier de leurs pensions auprès de la CNSS n’ayant pas atteint l’âge de
la retraite (60ans). Après avoir vidé tous les cadres Noirs de la fonction publique,
l’Etat a décidé de régulariser la situation de ces agents auxiliaires 20 ans après
(1994-2014) en procédant à leur intégration comme fonctionnaires et leur mise a la
retraite en même temps.
Le
troisième poste stratégique est celui des Commissions Nationales des Concours
Le
quatrième poste stratégique est celui de la Direction de la télévision et de la
radio. La télévision ne présente à l’écran que la composante maure, même au niveau
des wilayas où la dominante des populations est noire pour la consommation
extérieure. Quant à la radio, le temps d’antenne accordé à la composante noire est
insignifiant.
Les tenants de la pensée unique arabe se sont mis au travail d’élimination des éléments
negro mauritaniens. L’épuration des éléments negro mauritaniens n’a connu que deux
exceptions : l’une, pendant le pouvoir du Président Mohamed Khouna Ould Haidalla et
l’autre avec le Président Sidi Ould Cheikh Abdallahi. C’est sous le régime du Président
Haidalla qu’a été crée l’Institut National Chargé de la Promotion et de l’Enseignement des
Langues Nationales. Des classes test pour expérimenter l’enseignement de ces langues ont
été créées. Le résultat a été plus que satisfaisant puisque les majors au concours d’entrée en
première année collège et au bac étaient des élèves de ces classes. Cela a été considéré par
l’avant-garde civilo-militaire comme un crime de lèse majesté. Ainsi, l’enseignement de ces
langues a été supprimé. Dans une adresse à la Nation, le Président Sidi quant à lui, avait
présenté les excuses de l’Etat mauritanien aux victimes des événements douloureux des
années 89, 90 et 91. Il avait également pris l’engagement vis à vis de la communauté
nationale et internationale de faire revenir tous les refugiés mauritaniens qui étaient au
Sénégal. Invité par l’avant-garde civilo-militaire qui a introduit en Mauritanie la pensée
unique arabe à renoncer à faire revenir les refugiés mauritaniens installés au Sénégal depuis
les événements 1989, le Président Sidi a opposé une fin de non recevoir à cette invitation.
Après ce refus du Président Sidi, l’avant-garde civilo-militaire a publié un trac signé d’eux
pour annoncer au Président Sidi sa prochaine destitution. Voila les deux raisons parmi tant
d’autres qui sont à l’origine de la destitution de ces deux Présidents parce que n’ayant pas
voulu adhérer à la pensée unique arabe dont l’objectif est l’élimination de la composante
non arabe (negro mauritaniens). Lorsque le premier contingent des refugiés est arrivé en
Mauritanie en janvier 2008, ils sont les seuls refugiés à avoir bénéficié des pièces d’Etat civil
pour l’ensemble des membres de leur famille ; ainsi que de la nouvelle carte d’identité.
L’avant-garde civilo-militaire a commencé à préparer le coup d’Etat contre le Président.
Voulant éviter que la communauté internationale ne considère leur acte comme un coup
d’Etat, il était prévu que les députés et les sénateurs qui étaient leurs alliés, allaient marcher
vers le palais présidentiel invitant les militaires à prendre le pouvoir. Cette marche était
programmée pour le mercredi 6/6/2008 à partir de 16h, mais le président Sidi ayant
anticipé la marche a pris une décision destitutuant les grands officiers qui devaient agir sur la
demande des élus. Voila pourquoi les militaires destitués ont pris le pouvoir. La création de
la nouvelle carte d’identité à pour objectif non seulement d’empêcher aux contingents des
refugiés qui devaient rentrer au pays après ceux de janvier 2008 d’obtenir la nationalité
mauritanienne, mais aussi la majorité des Noirs mauritaniens. Pour que l’opinion publique
nationale et internationale ne se rende pas compte du jeu le nouveau pouvoir a continué à
faire revenir les refugiés, mais en les bloquant par le nouveau recensement. C’est dans le
même esprit que l’on a voulu faire comprendre à l’opinion publique que le problème du
passif humanitaire est réglé à travers la prière faite à Kaédi. L’expulsion des Noirs
mauritaniens vers le Sénégal lors des événements de 1989, l’extermination des militaires et
civils des années 1990, correspond à l’application de la théorie de Michel AFlak, le théoricien
du batthisme. Selon cette théorie, les communautés non arabes existants dans les pays
arabes, doivent être éliminées du pays selon le procédé suivant : un tiers (1/3) est tué, un
tiers (1/3) est expulsé et le dernier tiers (1/3) est assimilé. Par rapport à cette théorie
d’extermination, l’avant-garde civilo-militaire a réussi partiellement avec les tueries de
centaines de militaires et de civils des années 89, 90 et 91. Pour les tiers à assimiler et à
expulser, c’est un échec pour le moment. Quant à l’exclusion des cadres et agents noirs des
rouages de l’Etat, c’est une réussite totale.
Les enfants des premiers cadres Noirs qui ont construit ce pays ne peuvent plus avoir du
travail dans leur propre pays, malgré l’acquisition de plusieurs grands diplômes. Ils sont
obligés de s’expatrier pour trouver du travail. À terme ils ne reviendront plus en Mauritanie,
ce qui était l’un des objectifs de l’avant-garde civilo-militaire.
Nous dirons en guise de conclusion qu’Allah nous a enseigné et l’histoire nous l’a prouvé et
nous le prouve encore aujourd’hui : que les hommes ou peuples qui se considèrent
puissants et supérieurs à d’autres peuples, finiront toujours par s’autodétruire ou être
détruits.
Ce fut le cas du peuple Hébreu (peuple élu), du peuple Allemand avec Hitler et sa théorie de
la race arienne. Maintenant c’est le tour des tenants de la pensée unique arabe avec ce qui
se passe en Syrie, en Iraq, au Yémen, en Egypte, en Libye et en Tunisie. C’est parce que dans
ces pays les tenants de la pensée unique arabe ont eu à exterminer des centaines sinon des
millions de personnes appartenant à des communautés non arabes
D’autres pays ne tarderont certainement pas à connaitre le même sort dans un futur proche.
A bon entendeur salut !
Oiga Abdoulaye, ancien Directeur de la CNSS
Maître Fatimata Mbaye : La très grande dame des droits mauritaniens
Une des icônes de la société civile mauritanienne, Fatimata M’Baye, n’a de cesse de dénoncer les injustices de la société mauritanienne. Un caractère rebelle façonné par plus de quarante ans de refus des choses présentées «comme des évidences». Une très très grande dame.
«Ouvrez les fenêtres, mettez plus de lumière dans la pièce!» intime la présidente de l’association mauritanienne des droits de l’homme (AMHD dès qu’elle arrive au siège de l’ONG pour l’entretien prévu. Claustrophobe, «depuis ses séjours répétés en prison», Fatimata M’baye supporte mal la pénombre en plein jour, et les espaces étroits.
En 1986, un groupe d’intellectuels noirs publie le «Manifeste du Négro-Mauritanien opprimé». Le pamphlet tombe sur la table des chefs d’État africains réunis à la Conférence des non-alignés au Zimbabwe. Le président Maaouiya Ould Sid’Ahmed Taya n’apprécie pas. À son retour à Nouakchott, il ordonne l’arrestation des auteurs du brûlot. À côtés, enseignants et étudiants qui ont distribué des tracts, sont emprisonnés. Maître M’baye est dans le lot. Elle découvre ainsi l’univers carcéral mauritanien, à la prison de Beyla. «Ça a été ma première expérience carcérale; j’étais encore étudiante» rumine-t-elle, pensive. Elle y retourne à deux reprises: en 91, dans le sillage des arrestations des militaires noirs, puis en 98, pour des raisons de lutte contre l’esclavagisme cette fois-ci, avec Boubacar Ould Messaoud entre autres.
Depuis ces séjours répétés en prison, et depuis qu’elle a été témoin, et victime des abus de ce milieu, Fatimata M’Baye «ne passe pas une journée, quand elle est à Nouakchott, sans visiter la prison des femmes et celle des mineurs, pour éviter que d’autres n’aient à subir, ce qu’elle a subi en prison» affirme Abdoulaye Bâ, membre d’AMDH.
Mais le moment charnière de sa vie reste les événements de 1989. Cette année-là, un banal incident qui oppose des paysans à la frontière des deux pays mène la Mauritanie et le Sénégal au bord de l’affrontement. Prises de panique, les autorités rapatrient leurs ressortissants de part et d’autre après des journées d’horreur. Si elle a choisi de faire le droit, ne cesse de répéter Me Fatimata Mbaye, c’est pour être au service des «sans-droits» et des «sans-voix». Elle se met à la disposition des rescapés et prend en charge le «Comité des veuves», constitué des femmes de militaires et de civils tués entre 1989 et 1994. Ses prestations sont bénévoles.

L’être avant la couleur
À 56 ans, cette femme aux yeux qui s’écarquillent brusquement par moments dans son discours, comme pour mieux faire passer une idée, ne mâche pas ses mots. Unique femme du barreau mauritanien, Fatimata Mbaye dit être née pour s’opposer à toute forme de discrimination. «Je ne me vois pas comme une Noire» confie-t-elle de sa voix assurée. J’aurais pu naître blanche, jaune, mongole ou kurde. Et je me serais reconnue dans chacun de ces êtres. Pour moi, poursuit-elle, la valeur humaine est au-dessus de tout».
Une vision de la vie empathique, héritée d’une éducation rigoureuse, et en même temps qui poussait les enfants de la famille à une indépendance intellectuelle. «Des aspects moins heureux ont marqué son enfance aussi. Comme un mariage forcé à l’adolescence, à treize ans, ou la découverte de pratiques rétrogrades comme l’excision. Tout cela a façonné la femme engagée qu’elle est devenue plus tard» raconte un proche de l’avocate. «Ayant connu le mariage forcé, côtoyé des filles qui mouraient à la suite d’une excision, mon chemin ne pouvait être que celui-là», opine-t-elle.
«Je ne pouvais plus voir mes amies, et mon mari m’a sommée d’arrêter mes études. Il me voulait au foyer, un point c’est tout!» confie-t-elle dans une colère contenue. Lassé par ses interminables fugues, le mari cède. Elle obtient le divorce et entame des études en droit.
Le 26 septembre 1999, elle est devenue la première africaine à recevoir le prix de Nuremberg, en Allemagne. Créée en 1995, cette distinction récompense tous les deux ans une personnalité remarquée par son combat pour le respect des droits de la personne humaine.

Le combat continue
«On n’a pas le droit de se taire face aux injustices. Tout citoyen a le devoir de dénoncer les manquements de sa société. Dans mon cas, je me considérerais comme n’assistant pas une personne en danger, si je devais rester inactive et me taire face à une injustice. William Burke disait que le mal ne triomphe que par l’inaction des gens de bien; j’approuve totalement cette idée» explique Fatimata M’Baye, qui déplore l’apathie d’une forme de conscience citoyenne en Mauritanie.
Et cette conscience serait plus que jamais nécessaire aujourd’hui dans une Mauritanie pseudo-démocratique. «La Mauritanie a signé, et s’est doté de documents et de mécanismes pour instaurer un état de droit. Mais tout cela reste foncièrement de la théorie sans application, qu’on fait miroiter à la communauté internationale pour faire passer le pays pour un état de droit. L’avenir de la stabilité du pays tiendra beaucoup à l’indépendance de la justice; ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui» évoque la vice-présidente du forum international des droits de l’homme (FIDH) qui pointe du doigt un arbitraire dans la justice à peine voilé, plus «évident que jamais».
«L’arbitraire qui règne dans la justice mauritanienne ces derniers mois confirme qu’en réalité, une volonté lobbyiste pour pérenniser ce système d’injustices et de domination dans la société mauritanienne. En sanctionnant le magistrat Mohamed Lemine Ould Moktar dans l’affaire dite de la drogue, on envoie un message sans ambiguïté: «on ne veut pas d’un état de droit», quand parallèlement on fait croire aux occidentaux et aux bailleurs, que la Mauritanie serait un pays respectueux des droits humains» conclut l’avocate.
FLAMNET-AGORA: Mauritanie –Perspective : Problématique de L’unité nationale Contribution de Samba THIAM- Inspecteur de l´Enseignement et Président des Forces Progressistes du Changement(FPC)
Dans le cadre d’une invitation à un diner débat organisé par Mauritanie- perspectives autour du thème « Unité nationale » Mr Samba Thiam, Inspecteur d’Enseignement et Président des Forces Progressistes du Changement (FPC), a produit cette contribution.
Bonne lecture. LLC!
Je voudrais, avant d’entrer dans le vif du sujet, saluer l’initiative, en même temps, rendre hommage aux initiateurs du projet, de par leur posture d’intellectuel, dont le rôle « n´est pas de plaire ou de séduire mais de porter la plume sur la plaie, de dire ce qui est ». Un rôle, par-dessus tout, « de vigile, d’alerte au danger, à la manière des Oies du Capitol ».
Au regard des menaces de péril en la demeure l’initiative est bien venue, opportune plus que jamais, et reflète, par ailleurs, la sagesse et un patriotisme certain. Je ne puis également ne pas souligner son caractère mémorable et historique. En effet, pour la première fois, dans l’histoire de notre pays, on choisit de parler du problème de « l’unité nationale », rien que de l’unité nationale. Directement, frontalement, posée comme thème central, sans amalgame…
La seule petite réserve que je me permets d’émettre ici est relative à la démarche choisie, qui consiste à agencer des thèmes, cloisonnés, que l’on nous propose de traiter. Or, à mon humble avis, aborder ainsi ces thèmes, de manière isolée, sans qu’ils ne découlent de l’analyse préalable de la problématique générale (l’unité nationale), risquerait de nous mener vers de fausses pistes, car on les traiterait à vide, en leur apportant des réponses essentiellement techniques, sans lien apparent avec la problématique centrale qui, elle, est éminemment politique. Pour me résumer, j’aurais plutôt suggéré de définir et cerner d’abord « la problématique de l’unité nationale », de laquelle découlera le traitement des thèmes choisis, parce que les problèmes et disfonctionnements existant, ici et là, dans tel ou tel secteur particulier, résultent, en fait, de cette problématique –cause première – d’essence politique. Si l’Enseignement est actuellement en dérive et que la justice ne fonctionne pas, ou que la discipline et l’équité se soient envolées dans l’Armée, c’est bien à cause des idéologies …
A la réserve plus haut, j’ajouterai une recommandation, nécessaire me semble-t-il, à savoir les dispositions psychologiques à attendre de chacun des intervenants pour réussir ce débat : esprit d’ouverture et d’écoute, franchise et réelle volonté de chercher et trouver des solutions…
Entrons maintenant dans le vif du sujet.
Les questions qui surgissent sont du type quelle problématique ? Comment se caractérise-t-elle ? Quelles en sont les causes ? Quelle(s) solution(s) s’il en existe ?
Il y a un réel « problème d’unité nationale » ou de cohabitation, incontestablement; L’unité actuelle (bancale, osons le dire) semble menacée de voler en éclats. Pourquoi ?
L’unité est en danger, en raison principalement, me semble-t-il, de la rupture du fragile équilibre entre les composantes nationales, au sortir de la colonisation; Hier nos communautés nationales se partageaient les charges, aujourd’hui une seule composante nationale, un groupe ethnique s’arroge tous les droits, contrôle, voire monopolise, pour l’essentiel, tous les rouages de l’Etat, tous les secteurs de la vie publique, à cause ou par la complicité de l’Etat. La réalité des pouvoirs politique, économique, diplomatique, militaire, culturel, social, médiatique, reste aux mains d’une seule composante nationale, excluant quasiment Négro-africains et Haratines ; Cette discrimination -ou racisme d’Etat- ouvertement menée, suscite, en réaction, un fort sentiment d’injustice, des frustrations, de l’exaspération , et par-dessus tout un sentiment d’inutilité chez les victimes, à leur pays ; or , « personne, pas même un saint, ne peut vivre sans le sentiment de sa valeur individuelle » nous dit J.H. Griffin . La grande Justice, d’essence politique, que l’Etat est censé garantir et distribuer à tous, a fait place, aux inégalités nombreuses, aux injustices flagrantes, érigées en Système de gouvernement.
Pour illustrer mon propos Je citerai quelques exemples marquants, caractéristiques de cette discrimination :
Dans les forces armées et de sécurité le corps de commandement est composé essentiellement d’Arabo-berbères, Négro-africains et Haratines, constituant le gros de la troupe, se retrouvent au bas de la pyramide; Comme par provocation, la langue arabe vient d’être instituée dernièrement comme langue de cette institution, excluant, de facto, les Négro-africains déjà épurés de la grande muette depuis les évènements de 1986-1990.
_ Si nous considérons le gratin scolaire, c’est-à-dire nos « grandes Ecoles », comme l’école des mines, l’école de médecine, l’école polytechnique, l’école de la magistrature et de la haute administration, le Prytanée militaire, l’école des officiers, nous constatons que toutes ces écoles recrutent à 99 % dans la composante arabo-berbère. Il faut souligner que la base même de l’exclusion raciale ou du groupe Négro-africain ce sont les réformes scolaires engagées en séries, qui visent à imposer et à instrumentaliser la langue arabe, à des fins de discrimination, d’assimilation et de domination. A côté du français, langue étrangère face à laquelle tous les enfants ont des chances égales, on a imposé non seulement la langue arabe, mais on l’a imposé en la fragmentant, en matières éclatées – cinq (5) – affectées du coefficient deux ou trois (2 ou 3), pénalisant ainsi exclusivement les élèves négro africains. L’échec massif des élèves et étudiants négro-africains aux examens et concours est imputable, en grande partie, à cet état de fait.
Il est bon de comprendre, comme le rappelait quelqu’un, que l’unité nationale ne se fait pas, forcément autour d’une langue; l’unité se fait lorsqu’on parle le même langage, plutôt que la même langue…
_ Au niveau des médias il n’y a pas mieux; pas un seul n’a été cédé à un négro-africain; pis, après 21h-22h toutes les chaines privées et publiques émettent en langue arabe ou hassanya jusqu’au matin; une portion congrue est accordée aux langues nationales africaines, et encore dans des périodes de plus mauvaise écoute !
Pour clore ces illustrations, examinons la représentativité des communautés nationales au parlement :
_Le parlement mauritanien compte 203 parlementaires (sénateurs et députés confondus); parmi les 203 parlementaires il y’a 150 Arabo-berbères soit (73 %), contre 20 Haratines et 33 Négro-africains, alors que les deux dernières composantes constituent près de 80 % de la population totale ! Second cas, non moins flagrant de discrimination, entre autres : le Guidimakha – région Sud-compte 20.7000 âmes et la région de l’Adrar 62.000 âmes ; cette dernière est représentée au parlement par 5 députes et 4 sénateurs alors que le Guidimakha, 3 fois plus peuplé, ne compte que 6 députés et 2 sénateurs. Où est donc l’équité ?
Je vous fais l’économie des secteurs de la justice, de l’Economie, (banques et entreprises privées et publiques) où certaines composantes sont quasiment absentes; un enrôlement au dessein obscur, exécuté par des commissions mono-ethniques censées recenser une population pluriethnique; enrôlement qui divise le couple, la mère et l’enfant, octroyant à l’un le statut de mauritanien, à l’autre celui d’apatride !
Le journaliste Dahane ould Taleb Ethmane, dans une recherche intitulée « partage régional des hautes fonctions de l’Etat », menée en 1990 (Mauritanie-Nouvelles), affirmait que « l’Etat mauritanien apparait comme un compromis entre les grandes tribus ». Le chercheur Olivier Leservoisier, dans « Question foncière en Mauritanie » ressortit des travaux de Dahane la part de « pouvoir » attribuée aux Négro-africains dans l’Etat : « pouvoir politique 12%, pouvoir économique 6%, pouvoir administratif 21%, pouvoir diplomatique 12%, pouvoir militaire 15% ».
Que reste-t-il de ces chiffres au regard de la réalité de 2014 ? Rien …
Au vu de ces illustrations de discriminations et d’inégalités criantes, nous pouvons affirmer que nos difficultés actuelles de coexistence pacifique résultent essentiellement de l’absence de justice; non pas la justice au sens restreint du terme, mais la grande justice, d’essence politique comme le dirait Yehdih Bredeleil; celle assurée par l’Etat dans tous ses démembrements. Cette Justice symbolisée par l’équité, l’égalité des chances, l’égalité des droits effectifs, l’égalité devant la loi garantie par l’Etat, impartial, sur lequel le faible et la victime peuvent s’appuyer; l’Etat – le nôtre – est malheureusement devenu, hélas, l’instrument au service d’un seul groupe ethnique, au service des membres puissants de ce groupe ethnique. Le vivre- ensemble doit avoir pour socle et condition le respect de la diversité (culturelle, ethnique, religieuse etc), sinon il ne se justifie pas.
Souvent, on nous oppose l’argument du nombre (majorité) pour justifier l’ordre inique actuel, comme si la « minorité », pour avoir se droits, devait dépendre de la générosité de la majorité !
L’une des sources principales des problèmes d’unité que nous rencontrons est à chercher dans le soubassement idéologique de nos dirigeants qui ont manqué de vision, s’obstinant à vouloir faire de ce pays un pays arabe, exclusivement, « au mépris de la réalité factuelle de sa diversité »; s’y ajoute le flou ayant entouré l’usage, sans clairvoyance, des concepts d’unité, de nation, d’Etat-nation, à revisiter … Que voulaient nos pères fondateurs ? Que voulons-nous ?
Voulons –nous Unir ou unifier nos nations ? Cherchons-nous à construire l’unité ou à faire de l’unitarisme ?
En optant pour l’unitarisme à la place de l’Unité, l’on gommait, de facto, toute identité qui n’était pas arabe, afin d’accoucher, au forceps, une « nation » arabe, au mépris de toute identité non arabe. Nos pères fondateurs et leurs successeurs se sont fourvoyés dans l’option du concept d’Etat-nation – qui n’existe toujours pas – à la place de l’Etat multi-nations, plus adapté à la réalité africaine, fédérateur de la pluralité des nations, des langues et cultures. Le concept d’Etat-nation est inadapté à la réalité africaine plurinationale, à logique différentielle et segmentaire, selon M Tshiyembe, l’Etat-nation, rappelle par ailleurs Cheikh Anta Diop dans « Civilisations ou barbarie », suppose au préalable des nations rendues homogènes par la violence … Ce qui n’est pas notre cas !
En vérité, si notre unité est actuellement mise à mal, c’est parce qu´en réalité, elle a toujours été une unité de façade, bancale, et qu’elle ressemblait davantage à « l‘unité du cavalier et de sa monture » ! L’explication de notre crise actuelle d’unité pourrait se résumer simplement par cette formule triviale : hier la monture acceptait de subir ce qu’elle refusait, aujourd’hui elle se cabrait et refusait de se faire monter. C’est aussi simple que ça !
Quelles solutions ?
Avant d’exposer mes propres vues sur les solutions possibles, je voudrais revenir sur celles évoquées, ici et là, vis-à-vis desquelles je nourris des réserves, de fortes réserves…
D’abord « la solution par l’Islam »…
Si l’Islam, comme le prétendent certains, était un facteur à 100% unificateur, on n’aurait pas assisté à la naissance de tous ces schismes dès sa prime enfance, tout de suite après la disparition du Prophète Mohamed (paix sur lui).
J’observe, par ailleurs, que « l’Islam mauritanien », au regard de ses expressions et prises de position, de ses silences… est un Islam particulier, à deux vitesses, voire hypocrite … Enfin, à supposer que l’Islam soit la bonne solution à nos problèmes, où sont les musulmans pour l’appliquer ?
Enfin, je récuse cette solution au regard des expériences historiques de l’Inde, du Pakistant, du Bengladesh, de l’Irak et du Soudan qui ont prouvé que le facteur déterminant de la bonne coexistence était, non pas le facteur réligieux, mais le facteur ethnique.
Examinons maintenant « la solution par la Démocratie » que soutiennent d’autres courants
J’affirme, d’emblée, qu’elle n’emporte pas non plus mon adhésion …
En effet, il nous souvient que la Démocratie de l’Apartheid n’avait pas éliminé la discrimination raciale et les bantoustans en Afrique du Sud ; tout comme la Démocratie made United States –première démocratie du monde – s’était accommodé de la ségrégation raciale, et demeure encore familière du racisme au quotidien ! Que dire enfin de notre « démocratie mauritanienne » qui s’est toujours fort bien accommodé de l’esclavage et du racisme, du déni d’humanité et de citoyenneté ? On voit bien que sous une égalité de principe peuvent se camoufler discrimination ethnique et esclavage !
Ajoutons que la citoyenneté – socle de la démocratie – contrairement à la vision libérale, ne peut être disjointe de l’ethnicité nous rappelle M Tshiyembe ; « La vison communautariste insiste sur l’impossibilité d’une telle séparation ». Bref une citoyenneté, ethno-culturellement neutre, qui impulse et guide, seule, l’individu quand il interagit sur l’espace public, est une citoyenneté abstraite, une fiction, une utopie …encore plus dans le contexte africain. « La mobilisation citoyenne est bien souvent imparablement culturelle et ethnique » soutient Souleymane Bechir Diagne. Peut-être, se demandait-il, faut –il penser l’ethnicité comme forme de citoyenneté …
Non, la solution par la démocratie ou par l’Islam n’était pas la mienne ; Elle me semblait trompeuse, fallacieuse …Mais si elle devrait malgré tout s’appliquer à défaut de mieux , il faudrait alors qu’elle aie pour socle des règles pré-établies fondant les modalités de l’unité, à la manière de la Suisse, de la Belgique, de la Bosnie, du Liban, ou de la Birmanie .
Ces réserves étant faites, quelles solutions ?
* La Solution par les lignes principielles, base essentielle de toute solution juste, viable et durable …
Si nous devions rebâtir notre unité, construire la bonne unité – la vraie – celle-ci devra reposer sur des bases justes, sur les lignes principielles que voici : Egalité, égale dignité, respect mutuel, respect des différences, partage équilibré du pouvoir, justice sociale.
Peu importe les solutions spécifiques des uns et des autres, pourvu que ces lignes en constituent le socle.
De ces lignes principielles découlera, par voie de conséquence, une modification radicale de notre vision de l’unité en cours, une nouvelle redéfinition de l’identité du pays, une rupture totale d’avec nos pratiques actuelles…
Voilà pourquoi, pour être en phase avec cette démarche de rupture, nous proposons l’autonomie.
Une fois la problématique de l’unité passée au crible, on s’acheminera alors vers la réconciliation nationale dont le processus se déclinera en trois étapes :
– Apaisement du climat social (par un train de mesures positives d’apaisement, allant dans le sens du règlement global du passif humanitaire et des effets collatéraux de l’enrôlement, doublé d’un appel fort en direction des organisations anti-esclavagistes à rassurer)
– Débat national devant déboucher sur des solutions consensuelles portant sur les grands axes de réformes constitutionnelle ( charte de la cohabitation, séparation des pouvoirs, partage équilibré du pouvoir, droits et devoirs de l’opposition, gouvernement consensuel ou, au contraire , contrôle des actions du gouvernement de la majorité par l’opposition, etc), institutionnelle (direction collégiale à présidence rotative , observatoire national des libertés et de la cohabitation , etc ) suivront alors, et alors seulement
– Les Etats généraux … (de l’Armée, de l’Education, de la Justice, de l’Administration)
Les problèmes sont inhérents aux sociétés et aux groupes humains. Nous avons les nôtres …
Nous devons donc replacer notre problématique de coexistence, en dépit de son intensité et de son acuité , dans le cadre de la lutte naturelle entre groupes humains, inscrite dans l’ordre naturel et normal des choses, régie par des lois naturelles ( lois de sociologie)…
Bien que nos gouvernants aient, par leurs politiques nocives, une large part de responsabilité dans ce qui nous arrive, il n’empêche que des lois naturelles nous gouvernent, à l’emprise desquelles on n’échappe pas … ; il en est ainsi, selon Ceikh Anta Diop, de la loi–disons de proximité – qui pose que « lorsque des groupes ethniques partagent le même espace, ils ont tendance, chacun, non pas à assujettir mais à assimiler l’autre » ; une autre loi stipule que « Lorsque le pourcentage de la minorité augmente la lutte des classes a tendance à se transformer en lutte des races » . Comprendre ces phénomènes aide à replacer notre problématique dans la juste mesure des choses. Il existe d’autres lois, telle la loi de la distance, la loi du phénotype etc, qui expliquent, à leur tour, la nature des rapports entre groupes humains …
Mais il y’a les lois de la nature, et il y’a la volonté des hommes …
Avec une volonté forte, clairement affirmée, de la vision, l’on vient à bout de l’emprise des lois, l’on réussit à déplacer des montagnes, à résoudre, en un mot, toute problématique, fut-elle complexe et délicate. Il suffit de vouloir, car nous dit l’adage, rien, absolument rien ne peut arrêter une volonté sans réserve.
Le bon sens nous souffle à l’oreille que l’exclusion est socialement explosive, politiquement corrosive, économiquement mauvaise, alors ressaisissons-nous; faisons comme les Birmans, en nous demandant comment, chacun pour sa part, pourrait contribuer à la grandeur de la Mauritanie.
Il nous faut nous ressaisir …
La lutte continue !
Samba Thiam
Inspecteur de l’Enseignement Fondamental
Président des Forces Progressistes du Changement (FPC)
Décembre 2014.
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Samba Boubou Sall : Dans les secrets des cuisines de la Présidence
Témoin inédit d’un pan entier de la jeune histoire républicaine de la Mauritanie, Samba Boubou Sall a été un des cuisiniers en chef de la Présidence de 1975 à 2011, de Mokhtar Ould Daddah à Mohamed Ould Abdel Aziz. Aujourd’hui retraité de la fonction publique, il continue de cuisiner au HCR basé à Bassiknou. Témoignage dans les dédales de la Présidence.
Un œil gauche de verre, le regard quasi-fixe, mais tout de même intensément doux. La douceur naturelle de ceux qui ont beaucoup vu, et qui s’émerveillent encore des choses. Comme un enfant. «C’est un héritage de la vie» dit-il pudiquement dans un murmure, pour expliquer son œil de verre. Une discrétion assurée dans sa démarche trimbalée dans la vaste cour de la maison qu’il co-loue avec d’autres collègues travaillant avec les ONG internationales et le système des Nations-Unies oeuvrant à Bassiknou.
«Je ne connais que le chemin de la maison aux locaux du HCR à Bassiknou; comme à Nouakchott d’ailleurs, et durant toute ma vie, où je ne me suis toujours occupé que de mes affaires, et particulièrement de mon travail» affirme-t-il, philosophe. A 64 ans, en retraite publique depuis 3 ans, Samba Boubou Sall a vu d’un angle inédit l’émergence de la Mauritanie, ses soubresauts lors des différents coups d’état qui l’ont secoué, ou de la guerre au Sahara qui l’a heurtée. Il a vu défiler les chefs d’état du continent. «Notamment sous Mokhtar Ould Daddah, durant la guerre contre le Polisario, où beaucoup de leaders africains sont venus en intermédiaires pour la paix» se souvient-il.
C’est durant cette période que l’ancien président du Zaïre défile à Nouakchott également. «En mai 1977» dit-il songeur, avant de reprendre presqu’en s’esclaffant : «Mobutu avait pris de court le protocole de la Présidence à l’époque. A une soirée prévue le lendemain de son arrivée, il a expressément demandé à manger une grillade de singes. Nous n’en avions évidemment pas, et il a fallu en faire venir de Dakar, dans un avion spécialement affrété pour! La diplomatie voulait que ce ne soit pas commenté, mais on en a parlé des mois durant du sommet de la Présidence aux plantons!» se rappelle Sall.
Son regard sur les présidents mauritaniens
De par son métier très proche des goûts culinaires des hôtes du palais ocre de Nouakchott, Samba Boubou Sall, a, par d’éphémères moments, côtoyé ces premiers citoyens mauritaniens.
«Mokhtar Ould Daddah était très raffiné ; vraiment si je ne devais garder qu’une caractéristique du très peu que j’ai vu de lui, c’est son raffinement» rappelle-t-il rêveur. D’ailleurs c’est ce raffinement qui faisait que le maître d’hôtel lui proposait des menus variés, amendés ou pas par l’épouse du Président en personne. «A la chute de Mokhtar, cette procédure a cessé. Elle n’est revenue qu’avec Maouiya» dit le cuisinier.
Une caractéristique autre qu’il utilise pour présenter feu Moustapha Ould Saleck. «Il était moins cérémonial, mais bien plus maniaque ! Il ne supportait pas la saleté. Il ne pouvait s’asseoir dans une pièce qui n’avait été au préalable récurée de fond en comble !» développe Samba Boubou avec de grands gestes.
«Louli et Haïdallah étaient les vrais maures du terroir, dans la simplicité. Ils étaient d’une simplicité et d’une sagesse que nous commentions quasi-quotidiennement en cuisine ! Louli par exemple a littéralement installé à la présidence ses vaches, ses chèvres et moutons, qu’il trayait presque chaque jour lui-même! Louli n’était pas intéressé par le bling-bling du pouvoir, ni par le matérialisme qui le suit aujourd’hui. Sa foi et ses principes le guidaient. Cela se voyait par tout le monde, dans son comportement quotidien. Il avait même apporté ses propres matelas, son mobilier à la Présidence, qu’il avait fait enregistrer. Lors de son départ, il a assisté en personne à la récupération de ses affaires. Je faisais partie des gens qui rangeaient ses affaires. Et je dois dire que ce jour de son départ, la conviction de la grandeur de cet homme s’est renforcée : Le roi Fadh d’Arabie Saoudite lui avait donné un sabre gainé d’or pur, et serti de pierres précieuses. Quand nous lui avons présenté le sabre, il a demandé pourquoi nous le lui apportions. Le maître d’hôtel a répondu que c’était le cadeau offert par le roi Fadh. Il a rétorqué que cet objet avait été offert au président de la République de Mauritanie. N’ayant plus cette fonction, l’objet revenait à l’état qui en aurait la propriété» narre longuement Samba Boubou.
Une leçon sur la posture morale d’un homme d’état, qu’on peut apprécier ou pas, mais qui devrait être enseignée à la craie pour une rangée de cancres politiques, ministériels, et même présidentiels.
A cette humilité, et cette rigueur morale, suivra une autre constance; celle de Haïdallah, «être étonnant de par sa capacité à s’adapter à n’importe quel environnement ou situation». «Il m’a adressé la parole une fois, à Akjoujt. Il nous faisait découvrir des menus que nous ne connaissions pas, comme le «louxour» par exemple : de la farine cuite sur du charbon, et qu’on mange avec différentes sauces. Lors de cet entretien, il a demandé un plat de riz ; je lui explique que les marmites ne sont pas encore là, et que je m’y attelle dès qu’elles reviennent. Il a ri et demandé «c’est seulement ça ?» ; il est ressorti, et est revenu avec une grosse pierre plate, qu’il m’a fait nettoyer. Il m’a ensuite fait cuisiner sur cet ustensile improvisé ; il n’y avait pas d’huile dans le riz, pas de légumes, des petites pierres, un peu de sable… Juste un peu de Tichtar que j’ai fait bouillir. On était en plein camp, on n’avait même pas où poser le récipient ; il a enlevé son turban et l’a posé comme une nappe. A mes yeux, ce plat était immangeable. Il a senti ma réticence et m’a demandé de goûter le plat. Je lui ai poliment répondu que je n’avais pas faim. Là il m’a regardé fixement dans les yeux et m’a dit : «Samba, tu n’es pas sérieux. Si tu te dis un homme, ce genre de choses ne doivent pas te bloquer. La vie d’un homme doit être basée sur sa capacité à s’adapter. Aujourd’hui je suis président, demain Allah peut faire de moi un pauvre. Crois-tu que dans cette situation tu as le luxe de faire la fine bouche ? Je veille en permanence à ne pas oublier qui je suis, d’où je viens, et ce en quoi je crois. Ce genre de moments me le rappellent encore plus. Un homme doit manger tout ce qu’on lui présente» me tança-t-il un moment en m’avançant un bol. C’était foncièrement ce personnage Haïdallah» raconte le soixantenaire originaire de Niabina, un brin nostalgique en refusant un verre de thé qu’on lui présentait.
«Je n’en bois pas» lance-t-il simplement.
Samba Boubou Sall décrit Maouiya comme un président scindé entre sa «mauritanité» et sa quête «d’arabité». «Il se délectait exclusivement de menus arabes, parfois occidentaux, sauf le vendredi où il réclamait du riz au poisson» se souvient Samba. Ely Ould Mohamed Vall, est probablement, aux yeux du chef-cuisinier, le plus «toubab» de tous les chefs d’état passés par la Présidence. «Il est né au Sénégal, a grandi là-bas, comme son cousin Mohamed Ould Abdel Aziz d’ailleurs» dit-il laconique. «Mohamed Ould Abdel Aziz a sa partie marocaine qui ressort dans sa vie à la présidence, même dans la cuisine. Sa femme a fait en sorte que ce soit ainsi. C’est un des couples de la Présidence les moins proches des gens qui travaillent dans le Palais ; Haïdallah, Louli ou Sidioca étaient très proches des gens. Louli posait souvent des questions sur leurs conditions, à n’importe quel boy, jardinier ou cuisinier qu’il pouvait croiser» affirme le cuisinier.
Maouiya Ould Sid’Ahmed Taya était pour Boubou Samba, de loin, le président le plus craint. «Ce n’était pas évident de ne pas avoir peur de lui, de ne pas être intimidé. Il avait une discipline militaire, et une rigueur dans sa posture pas évidente à contourner. Un vrai toubab par certains aspects… J’ai travaillé pour lui quand il était 1er ministre en 1982, jusqu’au mois de juin 1984, il était chef d’état-major alors. Très réservé, et spartiate, il ne parlait qu’à ses proches collègues militaires» décrit-il. «Je n’ai pas connaissance d’un employé à la Présidence qui ait jamais osé lui soumettre un problème. Contrairement à Mohamed Ahmed Ould Louli, Haïdallah, Moustapha Ould Saleck, ou même Mohamed Ould Abdel Aziz qui écoutent facilement les doléances d’employés, et qui se bougent pour y accéder» souligne Samba Boubou. Sidi Ould cheikh Abdallahi est basiquement «plus imprégné des valeurs africaines et maures» que les deux chefs d’état qui l’entourent. «Sa femme Khattou perpétuait en quelque sorte cela, par ses origines assumées et auxquelles elle tenait, de la région de Podor. Mais en même temps, ça a probablement été le couple le plus surprenant passé par le palais ocre : lui-même était l’ascétisme incarné, et elle aimait le «chahcha» » assure en souriant Sall.
«Je connaissais Sidi depuis 1974, période où il habitait en face de l’actuel siège de la SNIM, chez Bousseyf. Depuis cette époque à aujourd’hui, c’est la même personne, dans son respect affiché de l’individu, quelqu’il soit, dans sa discrétion naturelle. Comme Louli et Haïdallah, il mangeait tout ce qu’on lui présentait, sans dire mot» continue-t-il.
«Le vent brûlant» de 1989
Les évènements de 1989 ont emmené un «vent brûlant sur la face de ce pays», qui a laissé de profondes cicatrices dans les cœurs. «Nous n’avons pas été épargnés à la Présidence» se rappelle Samba Boubou Sall, la mine soudainement renfrognée. Ils étaient 64 employés noirs au moment des évènements, répartis entre les boys, les jardiniers, les cuisiniers, les plombiers, les menuisiers, les électriciens…
«Nous avons tous été expulsés de la Présidence le même jour. Pour ma part, la gendarmerie est venue me chercher à la résidence de passage à Nouadhibou, près de l’hôpital de Cansado pour me mener en prison, parmi tant d’autres…» développe le père de cinq enfants. La sécurité de la Présidence tient alors une lettre dans laquelle figurent tous les employés, avec leurs noms, emplois et origine éventuelle. La chasse aux sorcières était lancée. «Mohamed Ould Abdel Aziz a tenu cette lettre entre les mains, qu’il a remise à la sécurité. C’est le genre de responsabilités, qui entre les mains de personnes mal intentionnées, engendrent les pires choses…» déplore Sall, qui sera envoyé à la prison du Ksar, à partir de laquelle certains des employés de la Présidence seront déportés.
«Ils ont pris parmi nous, Ndongue Bocar de Fanaye, Dia Moussa de Fanaye, Mamadou Thiaw de Fanaye, Malik Bal de Fanaye, Hamet Mbodj de Fanaye, Amadou Ly également de Fanaye et Ndongue Moussa de Hayré Mbar. Ceux-là ont été déclarés sénégalais» énumère le cuisinier. Bocar Ndongue avait eu la nationalité mauritanienne, décrétée par Mokhtar Ould Daddah en personne. Il sera le seul dans le lot précité à échapper à la déportation. «Ça aurait été une honte pour la parole d’une nation, que de réfuter l’écrit de son chef» analyse le natif de Niabina.
Certains des employés de la Présidence sont alors mis à la disposition des ministères de la fonction publique, de la jeunesse et des sports. D’autres ont été simplement licenciés. Samba Boubou fera partie de ceux détachés au complexe du stade olympique de Nouakchott, et sera régulièrement appelé à la Présidence pour des soirées spéciales, ou des déplacements à l’intérieur du Président. «J’ai fait le tour de la Mauritanie avec Taya. De long en large. Je ne l’ai salué que deux fois; une fois lors de sa venue à Niabina, et une seconde fois au palais des Congrès à Nouakchott, lors d’une rencontre du PRDS».
«Aujourd’hui en 2014, il n’y a plus que trois noirs-mauritaniens qui travaille à la Présidence, sur plus de 120 employés : un soninké qui s’appelle Amadou Camara, avec son frère, et un certain Yacoub Diallo. Tout le personnel restant est exclusivement maure. Il n’y a plus un boy ou un cuisinier noir-mauritanien» affirme Sall.